jeudi, avril 04, 2013

Le Client chinois et les clients chinois

J'ai animé mercredi 3 avril un séminaire à la CCI de Bordeaux pour une vingtaine de viticulteurs français produisant des crûs bien connus: côte de Blaye, côte de Bourg etc.
Le Bordelais attire depuis longtemps  les investisseurs chinois et les producteurs de vin de 波尔多boerduo (traduction phonétique signifiant vague-beaucoup) ont trouvé en Chine un marché potentiellement capable de soutenir leur croissance.
Pour autant, le quotidien est émaillé d'incompréhensions mutuelles, de négociations interminables, de marches arrières, de marchandage éhonté, de harcèlement par emails, puis de silences inexpliqués (une torture"), de commandes subites ("la panique, on travaille nuit et jour" puis de reports constants, d'exigences impérieuses (étiquettes personnalisées, ...) et de reproche quant au manque de réactivité des Français..."Quand cela marche on ne sait pas pourquoi, quand cela bloque non plus! ".
 
Comment mieux communiquer et négocier avec des interlocuteurs si déroutants et versatiles? Comment  satisfaire ces Clients si nécessaires à la survie de l'économie locale?
 
Cette problématique Client-fournisseur sur laquelle je travaille depuis longtemps est emblématique des différences culturelles puisqu'elle renvoie au déficit de confiance dans le système qui caractérise la société chinoise, et donc à l'absolue nécessité de sortir du cadre professionnel pour faire des affaires entre "amis". Elle touche aussi à des présupposés extrêmement anciens assimilant cette relation au clientélisme hiérarchique sur le modèle de la piété filiale confucéenne: "les clients sont nos parents nourrissiers" proclament de nombreuses entreprises chinoises. Vendre aux Chinois en B2B c'est s'engager dans une relation de face asymétrique au sein de laquelle le fournisseur doit satisfaire à toutes les exigences et aussi aux changements d'avis du clients chinois (lesquels sont perçus comme illogiques tant que l'on n'a pas compris les codes de la communication indirecte et implicite), et cela dans la minute et sans broncher afin de lui donner toute la face qu'il attend.  
Pourtant ces clés ne valent plus dès lors que les clients sont une masse anonyme de consommateurs sans visage avec lequel aucune relation personnelle n'est possible. Ce qui peut expliquer, d'un point de vue culturel, l'absence de vergogne avec laquelle des produits contrefaits voire toxiques sont lancés sur le marché dans la logique darwinienne de la loi du plus malin "pas vu pas pris". Aujourd'hui la demande d'équité (pour l'accès égal aux services publics de santé et d'éducation notamment) et de sécurité alimentaire est très forte dans une société où règne la méfiance de chacun envers tous, l'Etat ne jouant pas son rôle protecteur et garant des règles.
Mais il y a encore une autre distinction à faire, car les si les clients des enseignes de luxe sont traité comme des VIP,  les laobaixing (lambda) qui poussent leur caddie au supermarché ont droit à très peu de considération (pour ne pas dire au mépris) de la part des vendeurs. Le statut social en Chine détermine les comportements et les attentes des uns et des autres.
On comprend dès lors que la conception occidentale du "Client" en tant qu'idéal d'une entreprise, producteur de sens et de motivation est loin d'être une évidence partagée.

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